Lester Brown : Une grave crise alimentaire menace le monde
Par Olivier le mercredi, avril 26 2006, 09:22 - Sciences et Environnement - Lien permanent
La croissance mondiale épuise les réserves agricoles...
Interview de Lester Brown par Patrice Piquard pour Capital - 01-03-2006
Capital: Dans votre dernier livre, vous affirmez que la détérioration de l'environnement est si rapide qu'elle pourrait entraîner un effondrement de l'économie mondiale. A quelle échéance ?
Lester Brown : Dans vingt ans tout au plus, si nos comportements ne changent pas. Car aucune économie, aussi sophistiquée soit-elle, ne peut survivre à la destruction de l'écosystème dont elle dépend. Depuis 1950, la population mondiale est passée de 2,5 à 6 milliards d'habitants, et la richesse moyenne d'un Terrien a été multipliée par sept. Mais cette croissance phénoménale provoque l'épuisement des ressources naturelles. En 2004, les découvertes de gisements pétroliers n'ont représenté qu'un quart des quantités consommées. Et la disparition des forêts, l'expansion des déserts, la diminution des nappes phréatiques, la baisse des stocks de poissons dans les océans s'aggravent chaque année. Nul besoin d'être un financier chevronné pour comprendre que nous signons des chèques sans remettre d'argent sur le compte. Et si nous continuons, nous allons faire faillite. LHistoire compte bien des exemples de civilisations qui ont disparu: les Sumériens, parce que leur système d'irrigation était déficient et avait imbibé de sel les terres cultivables ; les Mayas, du fait de la déforestation et de l'érosion des sols ; les habitants de l'île de Pâques, incapables de fabriquer des canots de pêche après avoir coupé tous les arbres. C'est ce qui nous guette.
Capital: Le décollage de la Chine et de l'Inde aggrave-t-il l'épuisement des ressources naturelles ?
Lester Brown : Oui, au point que le développement de ces deux pays va bientôt se heurter à un mur. La Chine est déjà le pays qui consomme le plus de céréales, de viande, de charbon, d'acier... De nombreux experts prétendent que, si la croissance s'y poursuit au rythme de 8% par an, la consommation moyenne de chaque habitant équivaudra dès 2031 à celle d'un Américain aujourd'hui. Or cela est absolument impossible: la planète ne le supporterait pas. Si les Chinois mangeaient autant de viande que les Américains, leurs élevages absorberaient la moitié de la production mondiale de céréales ! Et s'ils avaient trois voitures pour quatre habitants, comme aux Etats-Unis, leurs besoins en pétrole dépasseraient la production mondiale. A l'évidence, le modèle économique occidental ne peut fonctionner ni en Chine, ni en Inde.
Capital: Le principal danger qui nous menace, selon vous, n'est pas l'épuisement des ressources pétrolières, mais une grave crise alimentaire. Pour quelles raisons?
Lester Brown : Parce que la destruction de l'environnement a déjà des conséquences dramatiques sur l'agriculture. Prenez l'eau. Chaque homme en boit en moyenne quatre litres par jour. Mais, pour produire sa ration quotidienne de nourriture, il en faut 2 000 litres. Or le niveau des nappes phréatiques baisse partout. C'est une évolution invisible. Pourtant, elle transforme le Texas, le Kansas, le nord de la Chine et des régions d'Inde en terres sèches, donc incultivables. De plus, l'urbanisation convertit chaque année 3 millions d'hectares en routes, en immeubles, en supermarchés...
Capital: Les rendements agricoles ne progressent-ils pas?
Lester Brown : Non, ils plafonnent. Résultat: après avoir triplé de 1950 à 1996, la production de céréales n'augmente plus. Au cours des six dernières années, elle a été cinq fois inférieure à la consommation. Ce qui veut dire qu'il a fallu puiser dans les stocks, dont le niveau est désormais au plus bas. Comme la population mondiale progresse de 70 millions d'habitants par an, la production par personne a déjà baissé de 10% par rapport à son maximum historique. Bref, dans le domaine alimentaire comme dans celui de l'énergie, nous sortons de l'ère de l'abondance pour entrer dans celle de la rareté.
Capital: Pourtant, contrairement à celui du pétrole, les prix de l'alimentation n'augmentent pas...
Lester Brown : Cela ne saurait tarder. Depuis 1998, la production de céréales de la Chine a baissé, de 392 à 322 millions de tonnes. Le pays le plus peuplé du monde n'est donc plus autosuffisant dans le domaine alimentaire, au point d'être devenu en 2003-2004 le premier importateur mondial de blé et de soja. Tôt ou tard, peut-être dès cette année, les Chinois auront une mauvaise récolte et devront acquérir 40 ou 60 millions de tonnes de céréales sur le marché mondial. A ce moment-là, les prix bondiront, doubleront peut-être, du jour au lendemain. Conséquences : les pays du tiers monde, qui importent une part importante de leur alimentation, seront déstabilisés par des émeutes de la faim; les paysans européens pourront enfin vivre sans subventions agricoles; les Etats-Unis, qui exportent 40% des céréales vendues sur le marché mondial, redresseront leur balance commerciale. Et, partout dans le monde, l'expression indépendance alimentaire deviendra aussi courante que celle d'indépendance énergétique.
Capital: Pourquoi dites-vous que la hausse des prix du brut menace la production alimentaire ?
Lester Brown : La flambée du prix du baril a deux conséquences. D'abord, elle augmente les coûts de la filière alimentaire. Tracteurs, pompes d'irrigation, usines d'engrais, camions transportant les récoltes, industrie agroalimentaire... Tous utilisent d'énormes quantités de pétrole et de gaz. Ensuite, et surtout, au cours actuel du brut, la fabrication de biocarburants devient rentable, même sans subventions. Une partie de la production agricole (canne à sucre, maïs, betterave, soja, noix de coco, sorgho, blé, huiles de palme, d'arachide et de colza) peut donc servir autant à l'industrie alimentaire qu'à celle des biocarburants.Autrement dit, les supermarchés rentrent progressivement en concurrence avec les stations-service pour s'approvisionner. Depuis cinq ans, la production d'éthanol et celle de biodiesel a déjà triplé. Au Brésil, le secteur privé vient d'investir 5 milliards de dollars dans des distilleries d'éthanol, avec l'intention d'exporter en Chine et au Japon. Aux Etats-Unis, un dixième de la production de céréales (pour l'essentiel du maïs) a été consacré l'an dernier à fabriquer 34 millions de tonnes d'éthanol. En France, la production de biocarburants atteint seulement 400 000 tonnes, mais on souhaite la décupler d'ici à 2015. Ironie de l'histoire : cette évolution, que les écologistes appelaient de leurs vux, aggrave le risque d'une crise alimentaire dont souffriront en premier lieu les 2 milliards d'humains les plus pauvres. Il sera en effet plus rentable de vendre des biocarburants aux automobilistes que de nourrir des clients démunis. Ajoutons que cette ouverture d'un nouveau marché pour l'agriculture va entraîner les pays du tiers monde qui fabriquent des biocarburants à prix très compétitif (15 centimes d'euro le litre au Brésil) à accélérer la déforestation pour développer leur production !
Capital: Le modèle de croissance actuel nous menant à la catastrophe, pouvons-nous encore en adopter un autre ?
Lester Brown : Oui, à condition de mener d'urgence les changements indispensables pour préserver l'écosystème terrestre. A l'image des pays qui ont transformé leur économie en un temps record, en période de guerre ou pendant le plan Marshall. C'est possible parce que nous disposons déjà des technologies pour construire cette nouvelle économie. Par exemple les voitures à moteur hybride ou électrique, les éoliennes géantes à fort rendement, les systèmes d'irrigation par-goutte-à goutte,les tubes fluorescents et les appareils électroménagers consommant dix fois moins d'électricité. De même, nous savons déjà recycler le papier, les métaux, les pneus, les composants électroniques. Il nous reste juste à nous décider.
Capital: A supposer que nous le fassions, quelle serait la feuille de route ?
Lester Brown : D'abord, stabiliser la population mondiale à 7 milliards d'individus, au lieu des 9 milliards prévus par l'Onu en 2050. Cela ralentirait la destruction de l'environnement et faciliterait l'élimination de la grande pauvreté. La Thaïlande et l'Iran, qui ont réduit très fortement leur croissance démographique, sont les exemples à suivre. Ensuite, restaurer les ressources de la planète, en créant des réserves océaniques interdites de pêche, en mettant en uvre un programme mondial de reforestation et de contrôle de l'érosion, et en économisant l'eau dans les cultures irriguées. D'après mes calculs, il faudrait y consacrer 62 milliards de dollars par an, mais il est difficile d'imaginer un investissement plus rentable. Enfin, utiliser moins de matières premières et d'énergies polluantes. Il s'agit d'une part de concevoir tous les produits durables de sorte qu'on puisse recycler tous leurs composants; et d'autre part de promouvoir les énergies renouvelables (solaire, éolien, géothermique...), en rétablissant la vérité des prix. Si on incluait le coût des maladies dues à la pollution de l'air, celui de la destruction des forêts par les pluies acides et celui des catastrophes climatiques dues au réchauffement de la planète, le prix de l'essence devrait, selon certaines études, quintupler aux Etats-Unis.
Capital: Les individus peuvent-ils contribuer à la réussite du programme?
Lester Brown : Bien sûr. Il ne tient qu'à eux de supprimer les produits jetables -des mouchoirs en papier aux emballages de boisson en aluminium en passant par les sacs plastique - de pratiquer le tri sélectif de leurs déchets, d'utiliser le vélo en ville et d'acheter des voitures, des appareils électroménagers et des éclairages qui consomment peu d'énergie.
Capital: Croyez-vous à l'avènement de cette économie durable d'ici vingt ans?
Lester Brown : Les choses évoluent vite, et les médias peuvent les accélérer, en aidant l'opinion à comprendre le potentiel de «l'éco-économie». Mais je crains qu'il faille une catastrophe écologique majeure pour que le tournant soit vraiment pris.
Commentaires
Monsieur, je viens de lire avec beaucoup d'attention vos reponses. Je tiens v osu dire que vos theses se rapprochent des notres . Je vous ferai tranmettre les miennes dans un proche avnir.
Heu bonjour,
Votre message s'adresse à moi, propriétaire du blog, ou à Lester Brown dont je transmets ici les propos tenus auprès d'un journaliste du magazine Capital ?
Vos analyses des problèmes de développement durable sont très pertinentes. La généralisation du modèle de développement à l'occidental n'est pas possible écologiquement parlant. Il n'est même pas du tout désirable.Seulement , vous ne dites rien de nouveau.Bien avant vous beaucoup l'ont dit et n'ont jamais été écouté; je pense particulièrement à: Pr Ernst Schumaher, Réné Dumond,Club de Rome...Le monde ne changera pas du moins avant que la machine claque; car rien ne semble se soucier de la situation que vous analysez si bien. Les différents lobbies qui profitent du mode de production et de consommation à l' occidental sont trop puissants pour céder à quelque concession que ce soit.
Même remarque que précédemment, vous vous adressez à moi ou à Lester Brown ?
Pour ce qui est de votre vision des choses, je vous rejoins mes jours de pessimisme > docsmartinez.free.fr/dotc...
Mais, je suis parfois également optimiste, parce que je rencontre de plus en plus de monde prêt à s'investir et à agir. Parce que j'ai l'impression que la sensibilté écologique progresse partout dans le monde... Le seul problème, c'est l'urgence d'agir !
c'est bien de penser à ces choses horribles qui viendront bientot sur le monde. que pensez-vous ? que les dirigeants de ce monde s'inquietent de la vie des humains? non n'allez pas croire ces conneries.
Ce sont les gens qui vont conduire le monde à sa fin plus tot que vous ne pouvez l'imaginer. Quand ds un monde comme le notre en ces jours-ci GEORGE BUSH veut que l'histoire retiennent les guerres qu'il a gagné que les vies qu'il a sauvé. comment voulez-vous que les catastrophe ne frappe pas le monde. maintenant les grands de ce monde veulent le detruire et aller habiter sur la lune , et ils envoient des gens inspecter ces diferentes planetes. mais une chose est claire . quand même ils se mettront leurs nids plus haut que ces des aigles dieu les ramenera aussi bas que terre. Ce sont des satanistes et tout le monde le sait. les condolizza et autres . mais ils bruleront en enfer. Vous les soit-disant ecologiste ne vous fatiguez pas pour rien . Croyez en dieu et sauvez vos vies.
...
Bonjour,
Je suis moi même de formation scientifique et travaille dans le domaine de l'alimentaire. J'ai beaucoup voyagé ces dix dernières années, et même si je n'aime pas ça, je suis obligé de constater que Mr Brown expose des faits déjà en cours de réalisation.
Le monde ne changera pas sans une grande claque. Comme le dit Mr Brown, le tournant ne sera vraiment que suite à une catastrophe ecologique majeure. L'homme est ainsi fait qu'il n'apprend que dans la douleur.
A mon niveau cependant, j'essai depuis quelques années de sensibiliser les esprit à ces questions. J'intervient dans des ecoles, je participe aux salons, j'essaie de faire passer le message au sein même de mon univers professionnel.
Vous seriez surpris de la réaction des gens. La plupart du temps je suis confronté à de l'agressivité pur et simple. Les gens n'aime pas les oiseaux de malheur, ils ne les écoutent jamais et ont tendance à leur taper dessus.
Je garde espoir cependant. Même si je pense que la catastrophe majeure aura bien lieu, j'ai espoir que l'on parviendra à s'en relever.
Bon courage à tous.
Bonjour et merci Younes pour votre message si bien écrit et si bien présenté. C'est rare parmi les commentaires de ce billet :)
Je suis heureux et navré que vous confirmiez les dires de M. Brown. Heureux parce que je suis éreinté que le monde refuse d'admettre l'urgence écologique. Navré parce que si rien n'est fait, alors nous sommes au début d'une spirale qui sera douloureuse pour toute l'humanité, parce que les pays pauvres vont subir des conséquences terribles et que, jusque même dans les pays les plus riches, les risques de déstabilisation économiques et démocratiques vont enfler.
Comme vous, j'interviens professionellement et bénévolement pour transmettre les alertes de la communauté scientifique mais aussi leurs propositions de solutions. Comme vous, je rencontre des gens qui nient, d'autres qui réagissent avec fatalisme et enfin quelques-uns, finalement assez nombreux, qui s'agacent et se montrent agressifs. Ils accusent souvent le voisin ou le plus gros qu'eux (l'industriel, le paysan, le politique, le chauffeur de 4x4), se perçoivent comme un grain de sable parmi les grains de sable, incapables de peser sur la balance. Pourtant, les plus grandes plages ne sont jamais qu'une addition de petits grains de sable ...
Ceux-là exigent des énergies renouvelables des critères de performance et de qualité qu'ils n'ont jamais et n'oseraient jamais demandé des énergies fissibles et fossiles. Ceux-là pensent que la solution est dans la science (hydogène, fusion, etc.) et que le bon sens (sobriété, efficacité énergétique et EnR) n'est jamais qu'un remède de grand-mère. Ceux-là refusent d'admettre que leur mode de vie actuel empiète sur le mode de vie futur. Ceux-là regardent leurs enfants dans les yeux en disant que leur confort personnel prévaut sur la survie de la nouvelle génération (O. Sidler).
Alors oui il est possible que seule une catastrophe nous fasse réagir en masse. Il est possible que seule l'inversion de la courbe démographique nous rendent conscient des risques encourrus. Mais peut-être que, même à ce moment-là, dans les pays riches, on ne se souciera "guerre" des plus pauvres ...
dans nos pays riches, une possibilité de contre balancer ce processus est la simplicité volontaire. La consomation a outrance est nuisible a l environnement, a notre porte monnaie et a notre bien etre .Basée sur la frustration la publicité nous tambourine a longueur de journée pour nous inciter a acheter, les soldes en ce moment aussi.Qui ne connait pas une personne qui a acheté et regrette son achat compulsif.
personnellement j achete bio et si effectivement c est cher( car non subventionnée comme l agriculture intensive) j achete et mange moins de viande .J ai découvert les marchés et fréquente les magasins de proximités.Je cuisine plus et de ce fait j apprends a accomoder les légumes de saisons.L eau de pluie est utilisée pour les toilettes. Au sein de ma famille j agis mais ne contrains personne a me suivre , ils y viennent progressivement d eux meme.
Exemples: les lumieres sont eteintes apres etre sortis d une piece moins fréquentée, les veilles et chauffage sont eteints au coucher.Les repas cuisinés a la maison sont bien appreciés.
Bien sur j ai une empreinte ecologique consequente avec mes 2 voitures a la maison et je pratique le co voiturage pour aller au travail le plus possible.
Je pense qu une famille partageant les memes idées peut faire mieux si elle possede une maison bien orientée et avec du terrain( jardin , possibilités de cuisine solaire).
Pour finir , a chacun d agir a sa maniere sans contrainte mais en pensant a reduire ses dechets en tout genre d une maniere progressive car la societé de gaspillage est tres presente et pesante dans nos esprits.
Nous seul sommes capables "ensemble "de déstabiliser les pouvoirs établis sur des siècles de religions.
La vie... un début ... une fin... entre les deux le monde NOUS appartient .
Ici et maintenant pour l'avenir de notre race pensons "ensemble".
Que l'humanité ne fasse plus qu'un.